Ce que J.J. Abrams a quelque peu ruiné avec sa série Lost, c’est le goût du mystère. Que ce soit au travers d’X-Files ou des romans de Stephen King, il y avait un art d’égrener les indices dans les thrillers fantastiques qui s’est quelque peu égaré entre temps. Était-ce un artifice scénaristique qui, à force d’avoir été utilisé, nous a écœuré au même titre que les « jumpscares » dans les films d’horreur ou le charabia technico-médical des séries policières ? Control semble nous répondre un gigantesque « non ». Le jeu étire l’élastique de notre suspension d’incrédulité au maximum. Dans la grammaire qu’il invente, à coup de Hiss et autres objets de pouvoir, le jeu parvient on ne sait comment à construire sa propre logique. Cette logique qui fait cohabiter un canard en plastique qui se téléporte avec un réfrigérateur démoniaque qu’il ne faut quitter des yeux sous aucun prétexte, finit par prendre sens. Nous, par y prendre goût.
Pourtant Control est loin d’être parfait. Question maniabilité, Jesse semble être l’un de ces personnages des années 2000 issu de ces rares jeux permettant de basculer entre vue à la première et la troisième personne. Remedy semble ne pas avoir intégré les évolutions du TPS des dernières années et souffre quelque peu de la comparaison face à des Tomb Raider ou autres Uncharted qui jouissent d’animations plus fluides. Le jeu souffre parfois également de problème d’équilibrage dans sa difficulté, proposant moult objets inutiles dans les quêtes annexes qu’il nous propose, en particulier les alertes. Un surpoids encombrant dont il aurait aisément pu se passer.
Mais ce sont bien peu de choses face à un chef d’œuvre d’architecture. Les décors du jeu, essentiellement en intérieur, s’inspirent du brutalisme. Un mouvement ayant pris racine dans l’après-guerre de la seconde moitié du XXeme. Usant et abusant de blocs de bétons massifs, d’espaces vertigineux, d’alliance végétale et minérale, de couleurs sombres et de jeux de lumières discrets, le jeu déroule son décor fascinant comme on est happé par chaque épisode de Stendhal Syndrome de la chaine Youtube ALT 246. Le moteur graphique, usant de Ray Tracing, rend tous ces lieux mornes criants de réalisme. Ces décors fascinants recèlent des trésors cachés en nombre. On peut passer 15 fois dans la même pièce sans se rendre compte qu’au-dessus de la poutre en béton masquant une myriade d’ampoules, se cachent également quelques objets bien utiles.
On peut cependant regretter que cette myriade d’objets n’influe au final que sur des statistiques très classiques (puissance, portée, rapidité de charge...). Avec un background si ésotérique, le jeu aurait gagné à disposer d’un arsenal d’armes et de capacités plus variées. Sans aller jusqu’à la profondeur de jeux de cartes comme Magic ou d’un Arkham Horror, il y a tout un éventail de capacités que le jeu aurait pu explorer plutôt que de nous proposer 5 versions basiques de la même amélioration en puissance de feu.
Dans ses quêtes annexes scriptées, en revanche, Control sait nous proposer de fascinants détours. Chasses aux objets, boss optionnels, tréfonds à explorer, Jukebox de l’enfer… Il y a de quoi satisfaire vos envies de fouiner un peu partout. Au-delà d’objets quelque peu redondant, c’est surtout l’inventivité folle dont les scénaristes ont pu faire preuve, allant bien au-delà des délires d’un Alan Wake (Control y fait d’ailleurs référence, les deux univers étant cohérents entre eux), qui fait qu’on explore le « Bureau » dont Jesse devient rapidement la directrice sans que l’on ne comprenne trop pourquoi. Dès lors, chaque rencontre nous éloigne un peu plus de la réalité, un peu comme dans un Silent Hill dans lequel chaque dialogue a quelque chose de surréaliste. Pour apprécier Control, il faut cependant en accepter les règles fantasques.
Si vous ne rentrez pas dans la danse, il y a de fortes chances que vous trouviez le jeu trop redondant. Le sel de control se situe en effet dans sa capacité à nous faire jouer avec ses décors, pour y découvrir un bout de papier à moitié censuré dont le texte ne fera sens qu’en le combinant avec 3 autres et quelque évènement qui ne se déroule que 10 heures plus tard. Acceptez ces règles et l’univers que vous propose Control saura alors vous fasciner. Fortement conseillé aux fans de Bioshock, Alan Wake et autres Prey version 2019.