En préface de l’édition du cycle d’Hyperion, édité dans la collection Ailleurs et demain chez Robert Laffont, Gérard Klein portait à notre attention la critique très à-propos du monde de l’édition littéraire subtilement glissée par Dan SIMMONS dans son oeuvre. Coffee Talk, du studio indonésien Toge, parvient à réaliser similaire prouesse. Le jeu évoque ainsi au travers du personnage de Myrtle le problème bien actuel des périodes de Crunch. Cette dernière fait également mention des heures supplémentaires, de l'hypocrisie du management à ce sujet, et des pressions internes que se mettent les collègues de travail entre eux pour être le dernier à partir le soir (voire la nuit). Un sujet qui ne se limite pas qu’au monde du Jeu-Vidéo, mais à celui de l’informatique en général et tout domaine tertiaire soumis à des échéances.
On peut également citer la façon dont la fiction présente dans la diégèse de Coffee Talk fait référence à la réalité à plus d’une reprise sans réellement rompre le quatrième mur. Une pirouette qui nous a rappelé « Le maître du haut château » de Philip K. DICK et son livre interdit qui décrit les conséquences potentielles d’une 2ème guerre mondiale remportée par les alliés. Loin d’une portée aussi dramatique, à titre d’exemple, le groupe de musique « Explosions in the space » mentionné par l’auteur d’une nouvelle à lire dans le jeu, redevient ainsi EXPLOSIONS IN THE SKY sous sa plume.
Faudrait-il donc faire pareillement étalage d’éloges à propos de Toge Productions pour être parvenus à faire murir le média vidéo-ludique au même niveau que celui de la science-fiction littéraire ? Coffee Talk n’est malheureusement pas aussi pertinent par ailleurs. On y incarne un Barista cloîtré derrière son comptoir discutant de tout et de rien avec ses rares clients nocturnes. A l’image des jeux de rôles Japonais à protagoniste muet ou presque, nous sommes affublé d’une acolyte bavarde quasi perpétuelle en la personne de notre meilleure cliente Freya, romancière évoquée au précédent paragraphe. Le « jeu » déroule ainsi de longs dialogues, sans possibilité de choix, dans lesquels nos seules interactions se résument à choisir les ingrédients nécéssaires à la réalisation de breuvages commandés par nos clients.
On ne sait d’ailleurs pas trop dans quel genre classer l’œuvre tellement nos interactions sont ainsi limitées. La comparaison avec le génial Papers Please semble de mise, mais les lignes de dialogues sont ici si nombreuses entre deux interactions très brèves qu’il n’est presque plus question de Jeux Vidéo. Notons tout de même qu’à côté du mode histoire nous est proposé un mode « Endless », où les clients enchaînent les demandes sans dialogue intermédiaire. Le tout s’opère avec une limite temporelle qui fait de l’ensemble un challenge plus conforme aux normes du média. Les 10 à 20 premières commandes y sont malheureusement beaucoup trop simples, ce qui fait que le mode souffre d’un gros temps mort en début de chaque partie. L'intéret du jeu et sa durée de vie en souffrent d’autant.
Côté mode histoire, malgré le peu d’interactions proposées, Coffee Talk parvient également à se planter. On nous tient la main durant la moitié du jeu, on nous propose enfin 2 ou 3 recettes qui nécessitent un peu réflexion, pour finalement sans crier gare exiger de nous des boissons au nom barbare dont la composition nous reste aujourd'hui encore mystérieuse. On se risque ainsi à servir un peu n’importe quoi à nos clients. C’est beaucoup plus tard que l’on finit par comprendre la portée de nos erreurs. Certains pans de l’histoire nous sont ainsi restés interdits du fait de ce manque de perspicacité.
Ce que le jeu n’explique jamais, c’est que le nom de la mixture se révèle à nous une fois les 3 ingrédients mélangés. Il faut à ce moment précis comparer le résultat obtenu avec la commande énoncée préalablement, et recommencer autant de fois que possible (5 erreurs par jour nous sont autorisées). La réaction des clients, qui ingurgitent bon gré mal gré tout ce que nous leur servons, ne nous est d'aucune utilité. Il existe ainsi très probablement une fin plus satisfaisante à débloquer que celle que nous avons visionné lors de notre première et unique tentative. Mais qui reprend la lecture d'un bouquin depuis la première page une fois parvenu au dénouement ?
Mais la fin est-elle réellement ce que Coffee Talk avait de plus beau à nous raconter? L'histoire est belle et bien ancrée dans le quotidien de ses protagonistes. Au-delà des questions propres au monde du travail, mais également de l’émancipation des jeunes adultes, elle aborde la question des relations amoureuses inter-raciales au travers d’un couple Elfe/Succube remarquablement bien écrit. Une allégorie à peine masquée des problèmes encore très présents un peu partout dans le monde, paradoxalement très peu chez nous mais très certainement en Indonésie plus qu'ailleurs, que ce soit pour des questions de religion, couleur de peau, catégories sociales ou castes, dont parlait déjà le Romeo et Juliette de Shakespeare auquel Coffee Talk fait également référence. Ainsi le roman graphique parvient à faire vibrer quelques-unes de nos cordes sensibles. Malgré les différents points négatifs accumulés côté ludique, on a donc une certaine tendresse pour l’œuvre. On la conseille essentiellement aux curieux pour la justesse de ses dialogues. Gardez simplement à l'esprit qu'on est ici en présence d'une oeuvre premièrement littéraire, très légèrement saupoudrée de pixelart, de Jazz, Downtempo et Chill out pour la bande son, et quelques rares éléments interractifs en prime pour égayer le lecteur de temps à autre.